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Entretien avec Agnès Labrousse, référente transition socio-écologique

Vendredi, Avril 21, 2023 - 12:07

En janvier dernier, Sciences Po Lyon présentait les résultats de son premier bilan carbone assorti d'un plan d'action. Ambitieux et transversal, celui-ci vise à réduire l’impact de l'établissement sur l’environnement et à favoriser l’inclusion des enjeux socio-environnementaux dans les enseignements, la recherche, son fonctionnement ou encore ses partenariats.

Zoom sur la démarche de l'établissement avec Agnès Labrousse, Professeure des universités en économie et référente transition socio-écologique.

 

Sciences Po Lyon vient de présenter les résultats de son premier bilan carbone. À quoi sert ce bilan carbone ?

Le bilan carbone est un outil très utile pour repérer les principaux postes d’émissions de gaz à effet de serre liées aux activités de l’établissement. Ce diagnostic permet ensuite d’envisager les leviers d’action prioritaires. À Sciences Po Lyon – comme dans la plupart des établissements où les mobilités internationales sont obligatoires –, ce sont les déplacements longue distance qui se taillent la part du lion. Ainsi, les mobilités internationales étudiantes représentent à elles seules 55 % de nos émissions !

 

Le premier poste d’émissions de C02 concerne les mobilités, comment réduire l’empreinte carbone de l’établissement ?

Il faut bien entendu jouer sur tous les leviers disponibles – de la politique d’achat des équipements à la réduction des déchets – mais il importe de mobiliser nos ressources sur le levier central qui est la réduction de l’impact des mobilités. C’est un levier d’action incontournable, majeur. Et notre "bête noire", ce sont les déplacements en avion des étudiants comme des enseignants-chercheurs ! Bien sûr, beaucoup de ces mobilités sont fondamentales, tout particulièrement pour nos étudiants. Mais, sur les 35 à 50 % des étudiants qui réalisent leur mobilité en Europe, la quasi-totalité d’entre eux se déplace en avion. Il s’agit donc de concevoir les mobilités autrement, par exemple, de planifier un voyage en train un peu plus long avec un pass interrail, avec une ou plusieurs étapes de découverte dans d’autres villes d’Europe. Ainsi, le déplacement vers le lieu de la mobilité ferait partie intégrante de l’expérience du voyage et de l’ouverture qu’il apporte. Il s’agit de voyager mieux et autrement. Et dans ce cas, le train peut même s’avérer moins cher que l’avion. Et pour les mobilités inter-continentales, il s’agirait de les envisager d’abord pour celles et ceux qui se spécialisent sur ces aires culturelles ou quand il n’existe pas de formation équivalente plus proche. Et, une fois sur place, il importe d’éviter les vols de pur tourisme vers d’autres pays qui alourdissent un peu plus encore l’impact climatique de la mobilité. Mais cela demande un accompagnement et une sensibilisation préalables.

 

À ce sujet, vous travaillez avec un groupe d’étudiants de la Public Factory à l’introduction d’une "carte carbone mobilités". De quoi s’agit-il ?

Cette carte est avant tout un dispositif de sensibilisation. Elle propose un budget d’émissions limité à 6 tonnes pour 3 ans. 2 tonnes par an pour les seules mobilités, c’est beaucoup : pour rester dans les clous de l’Accord de Paris, chaque français va devoir atteindre 2 tonnes (ou moins), tous postes confondus (mobilités, logement, nourriture, achats divers, usage des services publics etc.). Mais cela peut aussi paraître peu. Un aller-retour sans escale en avion vers Los Angeles, c’est déjà près de 3 tonnes. Concrètement, cette carte carbone donnera accès à une plateforme qui calcule automatiquement les émissions de GES en fonction des données fournies par les utilisateurs, avec en outre un simulateur d’émissions pour guider les choix de déplacement. Elle permettra aussi d’alimenter notre bilan carbone par des données plus fines. En effet, chacun sera tenu d’entrer ses données de déplacement sur la plateforme.

 

Quid de la compensation via l’achat de crédits carbone ?

Bonne question ! Pour nous, c’est une "fausse solution de facilité". Je m’explique : solution de facilité car cela permet de s’acheter à bon compte une conscience environnementale sans changer ses pratiques. Surtout, c’est une fausse solution : la littérature scientifique converge largement aujourd’hui pour montrer que beaucoup d’actions dites "compensatrices" (plantations d’arbres dans les pays du Sud par exemple) compensent de fait peu ou pas les émissions de GES. Cela s’apparente à des formes de greenwashing pour des entreprises qui achètent ces crédits et annoncent qu’elles sont en bonne voie vers la "neutralité carbone". Une enquête très solide publiée récemment dans le Guardian et Die Zeit en fournit une illustration frappante : 94 % des crédits carbone certifiés par le principal organisme de certification n’ont au mieux aucun bénéfice pour la planète alors que les émissions qu’elles sont supposées compenser sont, elles, bien réelles ! Pire, cela encourage souvent l’inaction climatique en évitant de travailler à un réel changement des pratiques. Il existe, en outre, des cas documentés d’évictions forcées des populations locales dans le cadre de ces projets de "compensation".
A Sciences Po Lyon, nous n’optons pas pour la facilité et un affichage écologique de façade : nous souhaitons transformer en profondeur les pratiques. C’est une voie plus complexe mais la seule qui soit réellement responsable. Notre démarche est, en outre, plus équitable : il est facile pour les plus fortunés d’acheter des crédits carbone, il est plus difficile d’aller vers des pratiques plus sobres. Pour reprendre l’exemple des vols en avion, n’oublions pas qu’ils sont d’abord le fait des populations les plus aisées. 33 % des français ne prennent jamais l’avion et 35 % ne le prennent que de manière exceptionnelle ; à l’échelle mondiale, 1 % de la population serait responsable de la moitié des émissions de CO2 liées à l’aviation en 2018 alors que plus de 80 % de la population mondiale n’a jamais pris l’avion.
Au regard de leurs activités et de leurs habitudes, nos étudiantes et étudiants, mais aussi nos enseignants-chercheurs ont plus recours à l’avion et ont donc une responsabilité particulière.  La bonne nouvelle, c’est qu’ils et elles sont aussi particulièrement soucieux de l’environnement.

 

Vous avez évoqué un principe moins inégalitaire que la compensation. Quels sont les principes directeurs qui ont guidé la conception de cette carte ?

Cette carte carbone mobilités obéit à trois grands principes : un principe de sobriété (réduire les vols pour réserver l’avion aux seuls besoins prioritaires, dans le respect des limites planétaires), un principe égalitaire et inclusif (les mobilités ne doivent pas être réservées à une petite minorité de frequent flyers) et enfin un principe de réciprocité (les étudiants et étudiantes ne doivent pas être les seuls à s’engager dans la sobriété, les enseignants-chercheurs sont tout autant concernés). Bien entendu, le dispositif n’a rien de parfait ou de figé : en lien avec la petite équipe dynamique d’étudiants qui travaille à la mettre en place, il faudra assurer un suivi et faire évoluer le dispositif avec l’expérience et les retours des utilisateurs.

 

Abordons à présent d’autres aspects de la politique environnementale de Sciences Po Lyon. Quelles actions concrètes sont envisagées au niveau des activités d’enseignement de l’établissement ?

Merci de poser cette question qui permet de rappeler que notre politique environnementale est très transversale et concerne toutes nos activités, tout particulièrement l’enseignement. Sciences Po Lyon avait déjà mis en place dès 2019 un cours pluridisciplinaire obligatoire de 24 heures en première année ; nous pouvons remercier les étudiants et les étudiantes qui nous y ont fortement encouragés. Nous travaillons à élargir et rendre plus visible l’offre de formation en matière environnementale. En particulier, il s’agit non seulement de développer l’offre d’enseignements et de spécialités dédiés à ces questions*  mais aussi d’intégrer les dimensions et problématiques écologiques dans l’ensemble des enseignements (histoire, droit, science politique, langues etc.). Dans mon domaine, l’économie, il semble par exemple difficile de faire un cours de politiques économiques sans questionner l’impact de la croissance sur les limites planétaires, sans en interroger le contenu comme la désirabilité. Nous avons lancé une première enquête sur le traitement des thématiques écologiques dans nos enseignements et beaucoup de collègues sont proactifs sur ces sujets.
De plus, nous développons, en complément à ces enseignements, des ateliers de sensibilisation plus ludiques et des moments forts comme la conférence inaugurale de rentrée sur l’urgence écologique où Magali Reghezza – géographe à l'École normale supérieure et membre du Haut Conseil pour le climat – a fait en septembre dernier une conférence remarquée et remarquable. Pour ce qui est des ateliers, tous nos étudiants de première année vont participer cette année à des ateliers 2tonnes pendant leur semaine "Environnement" début mars. Pendant cette semaine, les étudiants du pôle stéphanois participeront à une sortie biodiversité et climat au sud de Lyon, les lyonnais à une projection/débat sur le même thème et ils assisteront tous à une conférence de l’ADEME sur les scénarios de transition énergétique. Nous allons aussi mettre en place des ateliers "fresque de l’emploi durable" à l’automne pour notre promotion de 4e année. Bref, c’est un grand chantier mais un chantier enthousiasmant.

 

Le programme européen "100 villes intelligentes et climatiquement neutres d'ici à 2030" a été lancé l’an dernier et la ville de Lyon est lauréate de ce programme. Qu’en est-il de Sciences Po Lyon dans ce contexte ?

Sciences Po Lyon est partie prenante du processus et ce, depuis les prémices de l’agora Lyon 2030 en juin dernier. Cette agora rassemble des entreprises, des associations et des organisations publiques désireuses de s’engager dans la transition et de proposer des solutions innovantes. Nous avons d’ailleurs appris hier que la candidature de Sciences Po Lyon pour la première vague d’actions avait été retenue. Nous en sommes ravis : cela devrait nous permettre d’initier des synergies, de valoriser et partager les solutions développées dans notre établissement, de participer à la construction d’un "pacte territorial" pour réduire l’empreinte carbone du territoire.
Par ailleurs, de multiples échanges se développent entre établissements du supérieur au sein du territoire, en particulier au sein de l’Université de Lyon. Des groupes de travail sur la transition viennent d’être mis en place la semaine dernière en vue de mutualiser nos expériences et d’impulser de nouvelles dynamiques. Nous participons à ce mouvement très récent et co-pilotons l’un des quatre groupes de travail qui porte sur les mobilités.

 

Un mot de conclusion ?

Face à des défis écologiques toujours plus pressants, l’enseignement supérieur et la recherche entrent dans une phase de mutations rapides. Sciences Po Lyon entend bien prendre toute sa part, à son échelle, dans ces transformations et être force de proposition. Bien entendu, toutes ces initiatives nécessitent d’être accompagnées par des politiques publiques fortes.

 

* On peut citer par exemple la spécialité Communication, environnement, mobilisations, engagement qui ouvrira en septembre 2024.